Voici le témoignage de Eduardo Traversa, professeur de droit fiscal, et président de l’institut d’études européennes de l’UC Louvain.
Il cultive un engagement dans la vie politique et associative, sous différentes formes, et notamment à travers l’animation de la plateforme E-change et vous croyez que tous ont un rôle à jouer en politique pour faire face aux difficultés sociales et politiques que nous traversons.
Le monde politique n’y arrivera pas seul, le monde économique, le monde social, le monde associatif , les citoyens ont un rôle à jouer et on doit absolument changer la méthode.
Eduardo Traversa a été à bonne école en politique puisqu’il est le fils de Clotilde Nyssens . Il croit à la force du dialogue, de l’éducation et de la coopération.
Voici son regard sur la mission des chrétiens.
Merci beaucoup donc pour l’invitation, merci beaucoup pour le très beau témoignage qu’on vient d’entendre.
Après ces mots si pleins de sens, de vie, d’ouverture, de dialogue, on se demande parfois mais qu’est-ce qu’on pourrait rajouter encore ? [ndlr : voir les interventions des autres témoins : Aïcha Adahman et Bosco d’Otreppe].
Qu’est ce qu’on pourrait apporter ? Et c’est vrai qu’en tant que chrétiens, nous sommes, je suis, souvent confrontés à cette question : mais qu’est-ce que je peux encore apporter au monde en tant que chrétien ?
Et cet après-midi, je pense, vient à pic pour se poser vraiment honnêtement, sincèrement cette question.
Alors ce qu’on peut apporter ce n’est pas plus que ce qu’on est. Mais on peut déjà apporter ce qu’on est, ce qu’on est, ce qu’on a été, d’où on vient, ce qu’on espère, ce qu’on souhaite entreprendre pour l’avenir.
Alors, ce que je suis, je voudrais commencer par là.
Donc on a dit que j’étais le fils de ma mère, ce qui est le cas de beaucoup de personnes ici. Mais donc ma mère, qui a été très active dans la vie politique et qui est toujours active dans la vie associative.
Donc je suis le fils de Clotilde, mais je suis aussi le fils, le petit-fils de beaucoup d’autres personnes qui m’ont énormément marqué.
Je suis l’arrière-petit-fils de Victor, qui était un paysan polonais, qui est arrivé en Belgique après avoir étudié en Allemagne, qui s’est battu toute sa vie pour son pays, la Pologne, qui n’existait pas encore, qui était sous domination allemande et russe.
Je suis le petit-fils d’Hugo, vendeur d’huile d’olive en Emilie-Romagne, qui, pendant la première guerre mondiale, se battait contre les autrichiens (j’ai épouse une autrichienne par la suite), contre les autrichiens, comme brancardier, qui portait les prisonniers, enfin les blessés, sur le champ de bataille, et mon père m’a raconté que quand, et cela arrivait souvent, il y avait autour des blessés italiens des blessés autrichiens, lui, comme brancardier le portait aussi parfois sur son dos parce que les batailles avaient lieu en montagne et c’était la seule manière de transporter les blessés vers l’hôpital.
Je suis aussi le petit-fils d’Edmondo qui, lui, après passé trois ans dans le désert en Libye où l’on se battait, il était du mauvais côté de l’histoire à partir du moment où il était dans l’armée italienne, qui était alliée de l’armée allemande, et il était responsable d’un hôpital de camp où régulièrement alors des avions britanniques passaient, bombardaient l’hôpital de camp, et il devait alors lui aussi transporter des blessés en sécurité.
Je pourrais continuer comme çà pendant des heures et des heures.
Je pense que le plus important pour se poser la question de savoir qui on est, c’est de se poser la question de d’où on vient.
Et d’où on vient, permet aussi de donner une certaine direction à l’action.
Ayant recueilli, vécu, un petit peu par procuration, par histoire, par transmission, toutes ces expériences, j’ai essayé de les continuer dans mon action, dans ce que je suis aujourd’hui.
Alors on dit que je suis professeur. Professeur c’est un métier, mais c’est plus que çà, c’est une vocation, un privilège, une responsabilité.
J’enseigne le droit, le droit fiscal, le droit européen, des matières qui sont au cœur de ce que l’on est, de ce que l’on est comme société, de comment on s’organise ensemble, pour quoi faire. Le droit fiscal c’est souvent vu comme une matière rébarbative, assez technique. C’est quelque part les artères, les veines de la société, le sang qui irrigue l’ensemble du corps social, ce sont les impôts.
C’est au travers de cette solidarité, de cette redistribution, que nos sociétés belge, européenne, ont pu mettre en place des états qui sont l‘incarnation, pas seulement du pouvoir et de la domination, qui ne sont plus j’espère le pouvoir, la domination d’un certain groupe social sur un autre, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays, mais qui sont l’expression d’une solidarité individuelle et collective qui essaie de mettre au service d’un bien commun les ressources de tous au niveau national belge, au niveau européen aussi.
Ce que je suis aussi : donc je suis papa de 3 enfants, mari d’une femme autrichienne, Linda, dont c’est l’anniversaire aujourd’hui, donc vous devrez la remercier de m’avoir libéré pendant quelques heures pour pouvoir vous parler Je suis aussi un père un petit peu inquiet.
On me demandait quelles sont mes préoccupations. Je suis un père un petit peu inquiet pour l’avenir, on l’est tous.
On entend, chaque jour pratiquement, quels sont les enjeux en termes de protection de l’environnement liés au dérèglement climatique, on entend des prévisions qui sont, c’est le cas de le dire, apocalyptiques, concernant l’évolution de notre planète, on entend aussi une résurgence de guerres à nos frontières Là récemment encore, l’armée turque est entrée sur le territoire syrien, pour chasser les Kurdes.
Et on sent de manière diffuse que, et c’est un paradoxe, on est à une époque où on n’a peut-être jamais eu autant en mains des moyens humains, techniques pour faire face aux défis qui sont les nôtres, mais on a l’impression qu’il manque un ingrédient, un ingrédient essentiel qu’est la confiance.
La confiance en nous-mêmes, la confiance en l’être humain, la confiance en l’humanité.
Et là, je pense que les chrétiens peuvent véritablement apporter beaucoup, d’où ils sont. Pas essayer d’aller influencer les choix de vie d’autres groupes, d’essayer de réglementer le monde un petit peu comme peut-être à une autre époque l’Eglise a eu la tentation de faire.
Mais c’est, d’où on est, arriver à vivre cette confiance. Nous sommes animés d’une foi, une foi qui nous donne finalement ce supplément, ce supplément de force qui nous permet d’aller à la rencontre de l’autre, qui permet de surmonter la déception et parfois la frustration et de continuer . Et je crois que c’est ce dont le monde autour de nous a le plus besoin aujourd’hui : de l’optimisme, de la joie, de la confiance, de l’espérance.
C’est ce que j’essaie de faire chaque fois que je donne cours.
Par exemple, demain je donnerai cours à Leuven, en français. Depuis 5 ans, il y a une collaboration entre la faculté de droit de Louvain-la-Neuve et la faculté de droit de Leuven pour organiser des cours bilingues. Et donc en étant là à Leuven, je ne me contente pas simplement de donner un cours de taxe sur la valeur ajoutée, qui n’est pas le maximum de l’envol spirituel que l’on puisse imaginer, mais par ma simple présence , en parlant français , je leur dis quand même quelques mots en néerlandais, mais en étant là comme professeur envoyé de Louvain-la-Neuve pour faire un cours bilingue à Leuven, c’est déjà un signe, simplement en étant là, du fait qu’il y a moyen de vivre une réconciliation après les événements que vous connaissez tous qui ont amené à une séparation. Donc être là, être là c’est fondamental.
Au-delà de mon engagement comme enseignant, j’ai aussi participé à la création d’une plateforme qui se veut politique dans son sens, dans son objectif, mais qui ne se veut pas politique politicienne au niveau de sa composition, et l’idée a été de forcer, de tenter le dialogue sur les solutions que l’on peut apporter aux grands enjeux qui nous attendent demain et qui sont déjà prégnants aujourd’hui.
Cette plateforme qu’on a appelée « E-change » qui regroupe des politiques mais aussi des non-politiques, fait ce pari du dialogue et pour vous donner l’ expérience concrète du groupe que j’animais, qui traitait de mes matières « fiscalité et redistribution », j’ai pu mettre autour de la table des syndicalistes de la FGTB, des membres de grosses sociétés multinationales, des personnes appartenant à différents partis politiques, donc socialistes, libéraux, écologistes, CDH, Défi, pour pouvoir ensemble se dire comment est-ce qu’on peut préparer notre système de redistribution, notre système fiscal, aux grands changements, défi climatique, transition digitale, aux grands changements qui nous attendent.
Et bien, après différentes heures de discussions, en se mettant autour de la table, tous animés de ce sentiment de bien commun, d’intérêt général , peut-être vu de manière un petit peu différente mais avec la conviction que c’était fondamental d’arriver à un accord, nous sommes arrivés à proposer au monde politique, on a collaboré aussi avec des organes de presse, à proposer un programme de réformes en matières fiscale et sociale pour le XXIe siècle. Donc ce pari du dialogue ,qui est finalement inspiré de ce que l’on vit chaque jour en tant que chrétien, et ce que l’on croit, est un pari que l’on peut réussir .
On le voit dans le dialogue entre chrétiens et musulmans, on le voit aussi dans le dialogue entre différentes forces politiques, on le voit tous les jours lorsqu’on enseigne dans le dialogue entre plus jeunes et plus âgés. Et c’est ce que je vous souhaite c’est mon appel. N’ayez pas peur, forcez le dialogue, forcez la transmission, parce que c’est de ce carburant, de cette énergie dont le monde a besoin.
Je pense que vous pouvez, chacun et chacune, l’apporter.
Merci beaucoup